Jesenický Maraton : Tomáš Křivohlávek et Jana Dobrovolná au sommet

L’esprit intact d’un marathon hors du temps
Il existe des courses qui dépassent la simple performance sportive, des rendez‑vous où l’effort se mêle à la contemplation, où chaque foulée raconte une histoire déjà vieille de plus d’une décennie. Le Jesenický maraton, né en 2009, s’inscrit exactement dans cette veine. Ici, dans les montagnes des Jeseníky, ce n’est pas seulement une épreuve de 42 kilomètres qui attend les concurrents, mais une immersion sensorielle et humaine, un voyage en altitude entre forêts profondes, vallées cachées et crêtes dégagées qui offrent à la fois la beauté vertigineuse des paysages et l’implacable difficulté des reliefs. L’édition 2025, disputée le 23 août, n’a pas dérogé à la règle : elle a confirmé, une fois encore, le caractère mythique de ce marathon où la météo et le terrain s’unissent pour façonner une expérience unique.

Au terme d’une journée ponctuée de sueur, d’émotions et de dépassement, deux noms résonnent désormais comme les nouveaux héros de la légende : Tomáš Křivohlávek, impérial chez les hommes avec un chrono de 3 h 14 min 40 s, et Jana Dobrovolná, première femme à franchir la ligne en 3 h 54 min 42 s. Mais derrière ces chiffres, c’est toute l’intensité d’un chemin de crête que l’on retrouve, une fresque de corps et d’esprits mis à l’épreuve, dans une atmosphère presque mystique.

La magie d’un parcours inchangé mais toujours différent
Chaque année, les organisateurs rappellent un paradoxe qui fait l’âme du Jesenický maraton : la trace est la même, mais la course n’est jamais identique. Ce samedi matin, les milliers de pas déposés sur le ruban de terre et de pierres ont rencontré un visage des montagnes façonné par la lumière d’août, les rafales de vent et une alternance subtile entre clarté et nuages lourds. La constance du tracé, une boucle exigeante alliant longues ascensions, descentes cassantes et sections en crête, se confronte à l’imprévisibilité du ciel et du climat.

Pour les concurrents, cela signifie qu’il ne suffit pas de connaître le Jesenický : il faut chaque fois le réapprendre. Les jambes doivent s’adapter à l’incertitude d’un sol qui peut être moelleux et souple sous l’humus des forêts ou traître et féroce sur les pierres polies des sommets. Le souffle, lui, se confronte sans cesse aux ruptures de rythme infligées par les pentes, aux relances imposées par des enchaînements abrupts. Mais cette difficulté est aussi la source principale d’attirance. Revenir sur ces montagnes, année après année, c’est revivre une épreuve initiatique où le corps et l’esprit se découvrent plus profonds, plus endurants, plus inventifs face à l’obstacle.

Le sacre de Tomáš Křivohlávek, solide et aérien
Dès les premiers kilomètres, la course masculine a pris les allures d’un duel à distance entre les meilleurs spécialistes tchèques de trail. Les porteurs du maillot Salomon, fidèles animateurs du circuit, ont imposé d’entrée leur cadence. Tomáš Křivohlávek, dossard 66, a su trouver très tôt la juste mesure : rapide sans se griller, efficace sans jamais gaspiller une foulée.

Ses poursuivants, parmi lesquels Ondřej Pavelka, lui aussi sous les couleurs Salomon, et Martin Gogela d’INOV8, ont tenté à plusieurs reprises de réduire l’écart. Mais le tempo du leader, en adéquation parfaite avec le relief, a transformé leur chasse en longue agonie. Křivohlávek filait sur les crêtes avec une aisance presque aérienne, laissant au fil des kilomètres son avance s’affermir. À la ligne d’arrivée, le chronomètre affichait 3 h 14 min 40 s, scellant une victoire nette, symbole de régularité et de maîtrise.

Pavelka, deuxième en 3 h 21 min 51, accusa plus de sept minutes de retard. Quant à Gogela, troisième en 3 h 29 min 12, il confirma sa solidité mais dut lui aussi s’incliner devant la fluidité implacable du vainqueur du jour. Au‑delà des écarts, tous reconnurent l’autorité de Křivohlávek, qui a écrit sur ces sentiers escarpés une partition sans fausse note.

Jana Dobrovolná, la nouvelle reine des montagnes
Si la course masculine a consacré un dominateur, l’épreuve féminine a offert elle aussi son lot d’intensité. Jana Dobrovolná s’est imposée avec un temps de 3 h 54 min 42, signant une performance de très haut niveau sur ce terrain à la fois technique et énergivore. Elle a su doser son effort et rester lucide sur les sections décisives, où l’allure devait se coupler avec une gestion mentale d’acier.

Ses rivales ont bataillé avec ardeur : Jitka Špičáková d’ALISY Sport Team s’est accrochée longtemps, mais a dû concéder une dizaine de minutes pour franchir la ligne en 4 h 06 min 22. À peine vingt secondes plus tard, Lenka Kohnová complétait le podium en 4 h 06 min 42, dessinant ainsi une lutte serrée pour les places d’honneur. Mais devant elles, Dobrovolná avait déjà gravé son nom dans les annales, portée par une constance d’allure et une capacité d’adaptation qui l’ont distinguée au fil des kilomètres. Son sourire à l’arrivée reflétait toute la gamme d’émotions que procure ce marathon : fatigue profonde, libération soudaine, et surtout fierté d’avoir apprivoisé les hauteurs du Jeseník.

L’expérience globale : bien au‑delà de la compétition
Au‑delà des podiums, ce qui fait la singularité du Jesenický maraton reste l’expérience vécue par chaque participant. Les paysages offrent un décor qui transforme chaque coureur en explorateur. Les prairies fleuries succèdent aux forêts primaires, les sources claires s’écoulent sous les pas, les pierriers se dressent comme des murailles antiques. On parle souvent de “course mythique” pour désigner un effort de légende, mais ici, le mot prend une résonance particulière : on court littéralement dans une atmosphère de mythe, où les montagnes semblent témoins, gardiennes silencieuses de l’audace humaine.

Ces contrastes naturels associent beauté et rudesse. Certains concurrents racontent avoir ressenti de la plénitude en franchissant un col baigné de soleil, d’autres se souviendront d’une descente où chaque appui demandait toute la lucidité des muscles et du mental. Ensemble, ces fragments dessinent une fresque collective, où chacun porte sa propre victoire, parfois intime, parfois éclatante.

La légende continue
L’édition 2025 du Jesenický maraton restera comme l’une de ces journées qui marquent à jamais le cœur et les jambes. Sous une météo capricieuse, les montagnes ont une fois de plus confirmé leur statut de juge impitoyable mais juste. Tomáš Křivohlávek chez les hommes et Jana Dobrovolná chez les femmes ont inscrit leurs noms au panthéon de l’épreuve, leurs chronos devenant désormais des références. Mais au‑delà du classement, c’est toute la communauté des coureurs, bénévoles et spectateurs qui a vibré à l’unisson, témoignant que cette course n’appartient pas seulement à ceux qui la gagnent, mais à tous ceux qui osent s’y mesurer.

Déjà, les regards se tournent vers l’avenir. Car si le tracé reste immuable, chaque édition est une nouvelle aventure. Et à n’en pas douter, lorsque les coureurs reviendront en 2026, le Jesenický aura gardé intact ce qui fait son âme : la promesse d’un dépassement, la certitude d’une beauté imprévisible, et l’assurance que la légende ne cesse jamais de s’écrire.